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Une « balle perdue » sur mon lit

Je suis Samuel Celiné. Journaliste, j’exerce mon métier depuis 2008 en Haïti.

Dans la soirée du dimanche 29 au lundi 30 septembre 2024, j’ai vécu une situation de terreur sur mon propre lit à Pétion-ville, et estimant qu’elle pourrait être la réalité de plusieurs centaines de citoyens haïtiens qui, pour une raison ou pour une autre, ne trouvent pas les moyens d’en alerter les sourds de la République, je décide d’en parler avec espoir de pouvoir attirer l’attention sur la très choquante et fréquente réalité des « balles perdues » dans la région métropolitaine de Port-au-Prince.

Ce soir-là, j’ai été réveillé vers 2 heures du matin par un bruit étrange, un « toc » qui, dans mon étourdissement me fait penser à une balle perdue, puisque la veille, j’ai été surpris par une salve de balles tirées dans la zone, lors d’une activité qui semblait être la clôture d’un championnat de football de quartier.

Pour moi qui arrivait à peine dans le quartier, soit le 2 août 2024, cette réalité d’un quartier où des individus s’amusent à tirer en l’air pour marquer un contentement quelconque, n’était pat un signal de bienvenu et c’est cette idée qui m’a le plus hanté après avoir entendu ce petit « toc » qui vient de troubler mon sommeil.
Je ne voulais pas y croire et décider de me rendormir.

Mais c’était impossible, car j’ai été trop perturbé par l’étrange bruit qui m’a, du coup, plongé dans de profondes réflexions sur la sécurité de ma famille. J’ai résolu alors d’allumer la lampe de mon téléphone pour pouvoir mettre mon esprit au clair, une fois pour toute.

La réalité, c’est qu’à quelques centimètres de ma poitrine, je suis tombée sur une « balle perdue » ayant terminé sa rageuse course destructrice sur le lit où je dormais avec ma femme et mon enfant.

Pourquoi écrire alors

J’ai passé le reste de la nuit à réfléchir sur ma situation en me posant des questions dont, comme beaucoup d’autres Haïtiens, je peine encore à répondre, comme que deviendrait ma vie si j’aurais été atteint de cette balle dans un pays où l’hôpital est refusé à celui qui est fauché ? Quel serait l’avenir de mon enfant dans ce pays où les autorités ne se préoccupent pas de l’éducation des enfants ? Comment aurais été ma vie dans ce pays où les personnes handicapées sont reléguées au second rang ?

J’ai immédiatement pensé à mon ancien camarade de classe, Fenel Belgrarde qui, dirigeant l’Institut Haïtien des Langues de Signes, avait mentionné au cours du mois, lors d’une intervention dans la presse que n’importe qui à n’importe quel moment peut se retrouver en situation d’handicape en Haïti, à cause de la situation d’insécurité qui prévaut dans le pays. Il m’est aussi venu à l’idée une triste nouvelle entendue à la radio à propos d’un jeune médecin qui aurait pu devenir paraplégique suite à une blessure par balle lors d’une tentative de kidnapping ratée à Port-au-Prince.
Prenant de plus en plus mon esprit, j’ai quitté le cadre individuel pour penser au collectif en me posant cette question qui est la raison d’être de ce texte : « Combien de citoyens haïtiens vivent cette situation dans les quartiers contrôlés par les gangs armés mais surtout dans les quartiers contrôlés par l’État haïtien là où le citoyen est censé vivre loin d’un tel phénomène, les « balles perdues » ?

Mais aussi, combien de vies sont emportées ou gâchées par des « balles perdues », dans le silence des autorités qui ne font rien, mais aussi dans le silence de la société : les organisations de droits humains, la presse et les universitaires qui n’alertent pas ou pas assez sur les « belles perdues » souvent tirées par des citoyens qui deviennent meurtriers en voulant célébrer une fête par exemple. Ce, nonobstant l’existence de ces petits maitres de certains quartiers qui se croient tout permis.

Le pire est que j’ai vécu cette terreur en plein cœur de Pétion-ville, là où vivent le gratin de la politique et de l’économie du pays au milieu de quelques éléments « de la classe moyenne » qui cherchent à éviter l’insécurité qui règne dans d’autres communes de la région métropolitaine de Port-au-Prince.


Pourtant, je ne vivais pas à Pétion-ville

En voyant la petite balle dorée sur mon lit, j’ai pensé à cet adage haïtien, disant « kouri pou lapli, tonbe nan larivyè » , puisque je ne vivais pas toujours à Pétion-ville mais à Gressier où comme tant d’autres, je m’efforçais depuis 13 ans, de terminer la construction de ma maison.

La situation d’insécurité qui prévaut dans cette commune m’a contraint de déménager en catastrophe vers Pétion-ville où j’ai failli me faire tuer ou handicaper en plein sommeil par quelqu’un qui, pour fêter ou asseoir sa domination sur les paisibles citoyens de son quartier n’a pas trouvé d’autres formules dans sa mal faite, que de dégainer son arme et faire feu en l’air vers l’inconnu pour tuer ou handicaper peut-être un inconnu, en criant peut-être, « Jan l pase l, l pase ».

Et moi, je me demande : Combien faudra-t-il de victimes de ces « balles perdues » avant une prise de conscience dans cette société qui frôle la barbarie.



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