Les gangs armés débarquent dans le marché noir du carburant

Les gangs armés débarquent dans le marché noir du carburant

Les propriétaires des stations-services sont pris dans leur propre piège.

Dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, ainsi que dans le reste du pays, le tableau est inchangé depuis plusieurs mois : Des individus, vendant au marché noir, étalent les produits pétroliers partout sur les trottoirs et même à l’ombre de certaines stations-services qui gardent leurs portes fermées pendant toute la journée, prétextant n’avoir pas de carburant à vendre.

Au terminal de Varreux où est stocké environ 70 % des produits pétroliers avant la distribution dans les stations-services, une rupture de stock fait rage dans le silence le plus parfait.
Cette situation de pénurie du carburant attise l’instinct avare de certains propriétaires de stations-services, mais aussi, les regards des gangs armés qui voient dans le marché noir du carburant, une autre source de revenus sulfureux.

Les gangs au contrôle

Edmond (prénom d’emprunt) est un chauffeur de taxi-Moto à Carrefour. Au début du mois aout 2022, il s’est rendu dans une station-service dans la zone de Mariani pour faire le plein de carburant, si difficile à trouver dans les pompes aujourd’hui.

Pénurie oblige, Edmond est contraint de faire la queue pendant des heures avant d’atteindre le distributeur.

« J’étais à quelques pas du distributeur quand j’ai vu arriver un homme avec un pick-up rempli de « Drums ». Il se fraie un chemin dans la foule, se gare directement devant le distributeur, attrape la gâchette (Nozle) et commence à remplir ses drums. Le pire est qu’il était accompagné d’autres véhicules remplis de récipients ».
Devant ce geste considéré comme un affront pour les centaines de citoyens qui se sont mis à la file indienne en vue d’obtenir le précieux liquide, Edmond proteste énergiquement jusqu’à ce qu’il aperçoit que l’individu porte une arme à feu.

Quelques minutes après la scène, une connaissance d’Edmond arrive sur les lieux.

En apprenant la scène, il décide amicalement de présenter Edmond à l’individu armé comme un « petit de la zone ».

« Apres la présentation, l’homme a décidé de me laisser faire le plein d’essence et de partir ».

Dans la soirée, la connaissance appelle Edmond pour lui apprendre que l’homme avec qui, il s’enggeulait à la station-service est un membre d’un groupe armé très puissant de la zone qui contrôle la pompe à essence.

La velléité des groupes armés à contrôler les stations-services se fait sentir depuis le début de l’année 2022, rappelle Jamile (prénom d’emprunt) responsable d’une station-service dans la région métropolitaine de Port-au-Prince.

« Il est très fréquent, lorsqu’on distribue le carburant selon les normes, de voir apparaitre un individu qui vous apprend qu’il déicide d’acheter l’un des distributeurs. Apres avoir rempli tous les récipients qu’il pouvait, il vous appelle et vous paie dans le prix normal. Ce carburant, on le sait tous, est revendu sous nos yeux, devant la station-service », confie l’homme d’un regard impuissant.

Selon Jamile, personne n’osera s’opposer à la volonté de ces hommes puisqu’ils sont membres de gangs qui opèrent dans les environs.
Marc André Dériphonse est le président de l’Association des Propriétaires des Stations-services (ANAPROSS). Il dit être au courant de cette pratique de certains gangs qui achètent le carburant dans les pompes pour l’écouler ensuite sur le marché noir.

Dériphonse va encore plus loin pour souligner que dans certains endroits comme dans la commune de Delmas, les gangs ne pensent même pas à payer après avoir vidé les pompes a essence. « Ils saisissent carrément le carburant dans les stations-services pour fructifier le marché noir », dévoile le président de l’ANAPROSS.

Les propriétaires des pompes ont initié la magouille

En dépit du manque, le prix du carburant reste toujours le même au Terminal de Varreux, révèle le propriétaire de station-service, Francisco Jauvin.

Pourtant, certains propriétaires sans scrupule, s’affairent à augmenter voire doubler le prix des produits pétroliers dans les pompes à essence.

La magouille saute aux yeux, mais l’irresponsabilité des autorités de l’Etat l’emporte sur la nécessité de contraindre les individus à respecter les prescrits de la loi.

Ainsi, à Port-au-Prince comme dans les villes de province, certains propriétaires de stations-services vendent le carburant au prix fort, dans la clandestinité, au vu et au su de la Police et des commissaires du gouvernement qui ne défendent pas la société.

Le président de l’Association Nationale des Propriétaires des Stations-services, Marc André Dériphones admet cette réalité mais souligne que l’association ne peut rien contre ses membres qui pratiquent le marché noir.

Selon Marc André Dériphonse, il est de la responsabilité des autorités en place de prendre des mesures aptes à stopper la magouille des propriétaires des stations-services.

Le consommateur final se révèle être le grand perdant face à cette pratique du marché noir, tolérée par les autorités gouvernementales.

En pareilles situations, les syndicalistes du secteur du transport en commun, ont pour habitude de lancer des grèves pour contraindre les autorités à agir.

Aujourd’hui, ce secteur s’adapte à la situation en augmentant, sans l’intervention de l’État, les prix des différents circuits. Ainsi, ils tirent eux aussi profit du marché noir et se taisent.

Selon le coordonnateur de l’Association des Propriétaires et Chauffeurs d’Haïti, Méhu Changeux, l’APCH n’approuve pas ce genre de pratique au sein de ses membres, même si la réalité crève les yeux sur les routes d’Haïti.

La très lourde subvention

Selon les informations communiquées sur le compte twitter du Terminal de Varreux, pour la journée du jeudi 18 août 2022, un total de 58 camions citernes, transportant au total, 137 950 gallons de diesel, 19 900 gallons de kérosène et 288 200 gallons de gazolines ont quitté le terminal.

La veille, le terminal révèle avoir livré 52 camions citernes contenant au total, 63 128 gallons de diesel, 20 450 gallons de kérosène et 298 556 gallons de gazoline.
Chaque camion-citerne, a la capacité de transporter 8 000 gallons de carburant, selon le directeur du Terminal de Varreux, Georges Lebrun, lors d’une interview accordée à Radio graphie au mois de juin dernier.
Lors de cette interview, Georges Lebrun, avait révélé que d’habitude, le Terminal de Varreux, livre quotidiennement entre 130 à 150 camions de produits pétroliers.

Une structure capable de livrer 150 camions citernes qui se résout aujourd’hui à ne livrer qu’une cinquantaine de camions, est la preuve qu’elle fait face, elle aussi a une pénurie de produits pétroliers.
Francisco Jauvin est propriétaire d’une station-service dans la région métropolitaine de Port-au-Prince.

Il rappelle que la pénurie de carburant constatée sur le marché local est due à un manque de responsabilité de l’État haïtien qui ne parvient pas à subventionner les produits pétroliers a temps, pour permettre aux compagnies pétrolières qui importent le carburant de placer les commandes a temps et en quantité suffisante.

Selon le président de l’ANAPROSS, Marc André Dériphonse, en août 2022, la subvention de l’État haïtien tourne autour de 200 gourdes sur chaque gallon de carburant importé dans le pays.

Cette subvention vise à soulager le consommateur final qui, autrement aurait à payer 200 supplémentaires sur chaque gallon, lorsqu’il fait le plein dans une station-service.

Selon les chiffres communiqués a Radio graphie par le directeur général du Terminal de Varreux, Georges Lebrun, le pays consomme 24 000 barils, soit 1008000 gallons de produits pétroliers quotidiennement.

Ainsi, au cours de l’année fiscale 2020-2021, l’État haïtien avait dépensé 30 000 000 000 de gourdes pour subventionner les produits pétroliers, selon le Ministère de l’Économie et des Finances.
Dans leur intervention, les autorités haïtiennes, n’ont jamais cessé de se plaindre du fardeau de la subvention qui, selon elles, est trop lourd pour un Etat aussi faible.

Cependant, par peur de réactions violentes de la population, aucun gouvernement n’ose attaquer et finir avec le problème de la subvention.

Ainsi, faute de pouvoir décider de l’avenir de la subvention, les gouvernements qui se succèdent en Haïti, patinent et s’autoflagellent quotidiennement, obligeant les compagnies pétrolières ne disposant pas de fonds nécessaires, de commander le carburant par compte-goutte.

Du coup, elles sont incapables de répondre aux besoins toujours plus grandissants du marché. C’est la pénurie, et cette situation de manque a poussé les propriétaires de certaines stations-services sans scrupule à écouler le peu de produit importé sur le marché noir et ce dernier a attiré les groupes armés qui ne se font pas prier pour prendre le contrôle de la magouille.

Samuel Celiné