Comprendre pourquoi Haïti est si souvent en « panne gaz » 

Comprendre pourquoi Haïti est si souvent en « panne gaz » 

Panne d’infrastructures, de planification et d’autorités.

Pour fonctionner en 2022, Haïti a besoin d’environ 24 000 barils de produits pétroliers par jour, selon des chiffres communiqués à Radiographie par le directeur général du terminal de Varreux, Georges Lebrun.

Ce, pour répondre à la demande d’une flotte d’environ 750 000 véhicules, 1.500 000 motocyclettes enregistrées depuis 2019, selon une source proche de l’Office d’Assurance Véhicules Contre Tiers ayant requis l’anonymat, et des milliers de génératrices qu’on substitue à l’ED ‘H.

Pour satisfaire cette demande toujours grandissante, le pays ne dispose que de 3 sites de stockage : Thor, Martissant et Varreux.

Le président de l’Association Nationale des Distributeurs des Produits Pétroliers (ANADIPP), David Turnier rappelle que le terminal de Thor peut conserver 167 000 barils.

Le terminal de varreux, 700 000 barils et celui de Martissant, 105 000 barils de diesel.

Donc, avec une capacité de stockage de seulement 972 000 barils de produits pétroliers, Haïti ne peut fonctionner que pendant 40 jours sans l’arrivé d’un nouveau bateau. Pis est, le terminal de Martissant, avec sa capacité de 105 000 baril de diesel, est dysfonctionnel à cause de l’insécurité qui prévaut à la 3e circonscription de Port-au-Prince.

De telles précarités, poussent constamment Haïti à placer des commandes. « Pour le seul mois de février 2022, on a reçu 3 bateaux de produits pétroliers. Lorsqu’on avait Petrocaribe, on ne recevait que 2 bateaux par mois », dévoile le directeur général du terminal de Varreux, Georges Lebrun.

Lors d’une interview à Radio Magik9 au mois de janvier 2021, le directeur général du Bureau de Monétisation des Programme d’Aides au Développement, Ignace Fils-Aimé Saint Fleur avait admis cette faiblesse d’un pays important toujours plus de véhicules sans penser à de nouvelles structures de stockage des produits pétroliers. 

Pénurie à flot.

Devant cette faiblesse d’infrastructures, le moindre imprévu dans la chaine d’approvisionnement impacte le fonctionnement du pays.

Ainsi, des camionneurs qui revendiquent, des gangs qui veulent se faire payer, des hommes d’affaires qui veulent augmenter les prix ou l’état qui veut beaucoup plus de bénéfices sur le galon, n’importe qui, peut se convertir en tailleur de croupières pour le consommateur final qui se verra ipso-facto affecter.

Par exemple, loin des 202 gourdes fixées par l’Etat haïtien en 2021, le galon de la gazoline se vendait jusqu’à 600 gourdes au minimum sur le marché noir dans la région métropolitaine de Port-au-Prince au mois d’octobre 2021.

Pour cause, une rareté provoquée par le blocus imposé par des gangs armés dans la zone de varreux à Cité Soleil, où se trouve le plus grand terminal du pays.

Au mois de décembre 2020, une sévère rareté a été le résultat d’un manque de planification au sein du Bureau de Monétisation des Programmes d’Aides au Développement (BMPAD), organe de l’Etat haïtien qui était chargé, jusque-là, d’importer les produits pétroliers. 

Lors, le BMPAD avait seulement enregistré un retard dans la livraison du carburant.

Au mois de février 2022, pour se faire entendre, des camionneurs ont provoqué une rareté dans les départements du sud du pays en paralysant le terminal de Thor à Carrefour.

La société a souffert, juste parce qu’ils voulaient protester contre une décision de l’administration du terminal.

Une belle manne

Quelques soit sa nature, la rareté de carburant est toujours synonyme de marché noir en Haïti, bien que cette pratique soit punie par la loi du 20 décembre 1946 sur la spéculation illicite.

Tout contrevenant a cette loi, risque une peine allant de 6 mois à 3 ans de prison et une amende de 500 à 100 000 gourdes, rappelle l’avocat Camille Occius

Pourtant, à Gressier, entrée sud de la région métropolitaine de Port-au-Prince, Dejean Petit (Noms d’emprunt), étale son petit commerce de carburants sur la route nationale numéro 2. Ce dimanche 18 juillet 2021, aucune station de service de la commune ne fonctionne prétextant n’avoir pas de carburant à vendre aux consommateurs.

Dejean est clair : la gazoline qu’il vend ce jour-là, a été achetée la veille au soir dans une station à essence de la zone.

 « Hier soir, j’ai acheté le carburant à 350 le galon. Aujourd’hui, je viens de parler à un responsable de la station qui m’apprend que ça passe déjà à 450 gourdes », lance Dejean qui, paradoxalement, critique la nonchalance des autorités face à cette pratique qui appauvrit le consommateur final.

Vendre des produits pétroliers en pleine nuit à des particuliers qui vont le revendre sur le marché noir est devenu monnaie courante chez certains propriétaires de station à essence de Port-au-Prince qui en tirent d’énormes profits.

Pierre Ovide (noms d’emprunt) travaille dans une station à essence à Carrefour. Il se souvient avoir vendu, sous l’ordre du propriétaire de la station, le galon de la  gazoline à 450 gourdes alors que le prix a été fixée à 202 gourdes pendant cette période.

« On a passé toute la nuit à vendre la gazoline à des particuliers qui, le lendemain, revendront ce même produit aux conducteurs à 600 gourdes le galon », souligne Pierre Ovide d’un air satisfait.

Ainsi, les propriétaires des stations à essence tirent un maximum de profit au détriment du consommateur qui n’a pas d’autres alternatives.

C’est ce que vit quotidiennement Ronald Dort à Pétion-Ville. 

Par peur de la foule qui se bouscule sous les rares stations vendant le carburant au prix fixé dans les moments de pénurie, ce motard se résout à ne s’approvisionner que sur le marché noir.

Le marché noir est devenu si normal qu’à l’ombre même de certaines pompes à essence, restées fermer sous prétexte d’un manque de produits, des petits détaillants vendent illicitement le carburant.

La nonchalance des autorités

Francisco Jauvin est propriétaire d’une station à essence dans la région métropolitaine de Port-au-Prince.

Face à la velléité de certains propriétaires de pompes à essence à profiter des raretés pour écouler le produit sur la marché noir, Jauvin rappelle que les mauvaises pratiques ont la vie dure et indexe l’irresponsabilité des autorités qui ne font pas assez pour freiner ces dérives.

Francisco Jauvin souligne que dans les moments de rareté, les prix restent les mêmes au sein des compagnies pétrolières qui alimentent les différentes stations à essence du pays.

 Comme lui, le président de l’Association des Propriétaires des Stations de Service, Marc André Deriphonce, rappelle que cette pratique est le résultat de l’irresponsabilité des autorités de l’État qui n’ont pas pris de mesures visant à dissuader les propriétaires des pompes à profiter des périodes de ratée pour créer le marché noir. 

Financement des gangs armés

Les propriétaires des stations de service qui vendent la gazoline au marché noir, ne font que profiter d’une situation beaucoup plus globale.

Sur les 972 000 barils que peut stocker Haïti, le terminal de Varreux avec sa capacité de 700 000, joue un rôle primordial dans le commerce du carburant en Haïti.

Pourtant, malgré l’importance de ce site, des groupes armés opérant dans la zone de Cité Soleil, imposent leur loi sur le tronçon qui y mène.

Le jeudi 15 juillet 2021, par exemple, le propriétaire de la station de service, ou travaille Pierre Ovide (Cité plus haut) a vécu l’enfer lorsqu’il a été appelé à se rendre à Cité Soleil pour rencontrer des bandits qui retenaient son camion remplit de carburant.

Sur place, le propriétaire a dû négocier pour pouvoir repartir avec sa cargaison, rappelle Pierre Ovide, trouvant là  une raison pour justifier la pratique de son patron : « Pour compenser ces dépenses supplémentaires dues à la présence des hommes armés sur la route, certains propriétaires de stations à essence sont bien obliger de se livrer au marché noir ».

Ainsi, le marché noir du carburant devient une source de financement pour les activités des gangs armés qui contrôlent les principales artères de la région métropolitaine de Port-au-Prince, là où tout le gaz est stocké.

© Photo : AFP / CHANDAN KHANNA

Samuel Celiné