Comme le citoyen ordinaire qui bifurque par les hauteurs du morne l’hôpital pour échapper à la fureur des gangs armés, pour protéger les acteurs du système judiciaire contre l’insécurité qui prévaut au bicentenaire, les autorités haïtiennes choisissent la solution la plus simple : battre en retrait.
Alors qu’il est appelé à combattre le banditisme, le système judiciaire haïtien, souvent accusé d’être trop complaisant envers les bandits, bat en retrait aujourd‘hui devant la toute-puissance des gangs armés qui opèrent dans le pays.
Dans une correspondance adressée au juge titulaire du tribunal de paix de Port-au-Prince, Philippe Vincent, en date du lundi 4 avril 2022, le Conseil Supérieur du pouvoir Judiciaire, lui a « instruit de mettre à la disposition du doyen du tribunal de première instance de Port-au-Prince, Bernard Saint-Vil, 2 ou 3 salles assez spacieuses du tribunal de paix de la section sud, pour la facilitation d’activités judiciaires tenant compte de l’ampleur de l’insécurité sévissant du bicentenaire ».
Le même jour, le CSPJ s’est aussi adressé par correspondance au Doyen Bernard Saint-Vil l’invitant, à « prendre les dispositions nécessaires, dès réception de la présente, en vue de transférer, au tribunal de paix de Port-au-Prince, (section sud), le décanat du tribunal de première instance de Port-au-Prince pour procéder à l’évacuation des affaires urgentes et des actions en habeas corpus ».
Sous couvert d’anonymat, une source proche du CSPJ dévoile que cette décision est le fruit d’une résolution prise à l’unanimité par les 5 membres restant du Conseil. C’était obligatoire puisque le Conseil ne compte que 5 sur 9 membres alors que la loi exige que toute résolution soit votée par 5 sur les 9 membres du Conseil.
Décision illégale mais…
Le CSPJ dans son état actuel, n’est pas habilité à prendre pareilles décisions proteste l’avocat Camille Occius. L’homme de loi brandit les articles 3 et 13 de la loi du 13 novembre 2007 créant le CSPJ qui prévoient que seuls le président et le vice-président sont habilités à engager le Conseil.
Il rappelle que le CSPJ n’a pas de président depuis le décès de René Sylvestre en juin 2021 et que le mandat du vice-président Frantzy Filémon, est arrivé à terme depuis le 16 février 2022.
La décision du CSPJ rentre dans le cadre de la théorie de formalités impossibles avancées par les juristes pour « réaliser l’indispensables quand les formalités sont impossibles », rappelle un juriste sous couvert d’anonymat, comme pour justifier la décision du Conseil amputé.
Illégale ou pas, cette décision vient comme marais en carême pour le doyen Bernard Saint-Vil. 24 heures après la correspondance du CSPJ, le magistrat s’est présenté au palais de justice, le mardi 5 avril pour le déménagement tant attendu. Selon lui, la décision du CSPJ est « un pas dans la bonne direction ».
Toujours sous couvert de l’anonymat, la source proche du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, confie que cette décision vient après un constat de faiblesse au niveau de la police, le bras armé de la justice, à faire faire face aux gangs armés qui contrôlent des pans entiers du territoire dont le bicentenaire.
« La justice avait beau tenir le coup face à l’insécurité qui prévaut au bicentenaire. Cependant, comment voulez-vous que nous restions encore dans la zone alors que la Police fait preuve d’impuissance et l’abandonne ? », Soutient la source.
Selon le président de l’Association Professionnelle des Magistrats, Marthel Jean Claude, la décision de déplacer le décanat permettra au doyen du tribunal de première instance de Port-au-Prince de traiter des dossiers en urgence comme des actions en habeas corpus et des actions en référé.
Que la fuite soit totale
La décision de déplacer le décanat du tribunal de première instance de Port-au-Prince suscite des critiques de la part des acteurs du système judiciaire, non pas par honte de voir la justice en mode de chasseur transformé en proie mais par ce qu’ils ont voulu, eux aussi, tourner le dos, au plus vite, à l’ancien local du bicentenaire.
« Ce n’est pas seulement le décanat mais tout le tribunal qu’il faut déplacer du bicentenaire », lance le magistrat Marthel Jean Claude sous son chapeau de président de l’Association Professionnelle des Magistrats. Il souligne que les autres juges et les avocats ont, eux aussi, besoin d’un espace plus sécuritaire pour travailler afin de « permettre à la justice de reprendre son cour normal à Port-au-Prince ».
Beaucoup plus acide, le président de l’Association Nationale des Greffiers Haïtiens, Martin Ainé, se dit tomber des nues devant cette décision du CSPJ qu’il qualifie de « démagogie ».
« Si la police ne peut pas garantir la sécurité au bicentenaire, il faut déplacer entièrement le palais de justice et de céder l’espace aux Forces Armé d’Haïti », propose Martin Ainé dévoilant que les bandits du village de Dieu, ont des caméras fixées sur le local du palais de justice et contrôlent tous les gestes qui s’y font.
Martin Ainé critique la décision, « de deux poids et deux mesures » utilisée par le CSPJ qui ose laisser au bicentenaire les chambres d’instructions et les autres personnels judiciaires.
Lors de son passage au bicentenaire le mardi 5 avril dernier, le doyen du tribunal de première instance, en plein déménagement, avait soufflé que des pourparlers sont en cours dans le but de faire l’acquisition de l’ancien local du ministère des sports à Turgeau pour loger le palais de justice de Port-au-Prince.
Le grand fiasco
Le président de l’association Professionnelles des Magistrats, Marthel Jean Claude souligne que les autorités judiciaires ont pour rôle de rendre la justice mais non de garantir un climat de sécurité dans le pays. Selon le magistrat, cette dernière est du ressort du pouvoir exécutif.
En effet, depuis la création du CSPJ en 2007, la justice haïtienne se trouve à la fois entre les mains du pouvoir judiciaire au niveau du CSPJ et du pouvoir exécutif à travers le Ministère de la Justice et de la Sécurité publique.
Les 42 articles de la loi de 2007, créant le CSPJ ne donnent au Conseil de pouvoir que sur les juges, les magistrats assis.
Les autres acteurs, pourtant clés du pouvoir judiciaire, comme les greffiers, les huissiers, les commissaires du gouvernement ou magistrats debout, le personnel judiciaire et administratif du système judiciaire sont laissés sous le contrôle du Ministère de la Justice.
Ainsi, le Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique est fortement concerné par le déplacement du palais de justice, là où siège le commissaire du gouvernement de Port-au-Prince et les autres acteurs administrés directement par le MJSP, rappelle le greffier Martin Ainé.
Paradoxalement, le ministre de la justice est le vice-président, le 2e personnage au sein du Conseil Supérieur de la Police nationale, (CSPN) selon l’article 14 de la loi du 29 novembre 1994 portant création, organisation et fonctionnement de la police nationale.
Ainsi, le débâcle du système judiciaire ne concerne pas que le CSPJ mais aussi l’exécutif avec ses réunions en CSPN qui n’accouchent que des promesses comme celle du 14 février, 2022 ou le Premier ministre Ariel Henry avait promis de pacifier Martissant « sous-peu ».
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