Voilà pourquoi les bandits du Bel-Air attaquent constamment le quartier de Solino

Voilà pourquoi les bandits du Bel-Air attaquent constamment le quartier de Solino

Dans le quartier de Solino à Port-au-Prince, la capitale haïtienne, les gangs armés de Bel-Air entretienent une situation chaotique. Entre mars à novembre 2023, ce quartier populeux a été la cible de trois attaques perpétrées par ces bandits, menés par le nommé Kempès Sanon. Mais Pourquoi ?

À 2 minutes environ en voiture du palais présidentiel, des dizaines de familles ont été forcées de quitter leur lieu de résidence pour s’échapper de la fureur de ceux qu’ils appellent « bandi Kempès yo ». Ces personnes, pour la plupart, pieds nus, menant avec elles enfants et vieillards, viennent de Solino, banlieue Nord de la capitale haïtienne, Port-au-Prince.

Le dimanche 19 novembre 2023, l’histoire se répète : des individus armés de Bel-Air ont perpétré un nouvel assaut contre le quartier de Solino qu’ils convoitent. Depuis le mois de mars, les violences armées sont fréquentes dans cette fraction qu’Abdallah (nom d’emprunt) connaît bien. Il y vit depuis plus de 20 ans.

Cet habitant que nous avons contacté nous décrit, avec la voix en sanglot, une situation pour le moins chaotique à Solino, après la première attaque armée, enregistrée vers trois heures de l’après-midi par des individus armés venus de Bel-Air.

Selon notre contact un policier a été tué d’une balle dans le cou, lors de cette attaque armée. Vladimir Marcelin est un policier issu de la 27e promotion de la Police Nationale d’Haïti. Résident du quartier de Solino, il tentait d’empêcher les bandits de Bel-Air de perpétrer des attaques armées contre les habitants de son quartier.

Entre mars à novembre 2023, le quartier de Solino, à Port-au-Prince, a connu des jours sombres. Des dizaines de personnes ont trouvé la mort suite aux attaques des bandits de Bel-Air, dirigé par Kempès Sanon. Deux sources du quartier de Bel-Air, qui ont sollicité l’anonymat, connaissent très bien les dessous de ce conflit.

De l’argent mal distribué

Selon la première source, de l’argent mal distribué reçu aux noms des habitants de Bel-Air se trouve à la base de ce conflit.

Kempès Sanon, le « chef » de la zone depuis environ 4 ans, assiste son compère Ti Manno, dans la trentaine, dans la construction d’un car wash dans le quartier. Ensemble, ils créent une ambiance festive avec l’activité appelée « Bèl Igloo », chaque vendredi.

Selon notre source, Ti Manno et Kempès se séparent à la fin de l’année 2022, lorsque ce dernier reproche à son ancien ami d’avoir reçu et gardé discrètement pour lui, une somme d’argent provenant des autorités de l’Etat haïtien pour le quartier de Bel-Air.

Ainsi commence l’animosité qui ne cesse de s’intensifier entre les deux camps. Kempès, aidé par les bandits de Grand Ravine et de Village de Dieu, met le feu au car wash de Ti Manno, qui contre-attaque en attaquant l’évadé de prison avec ses hommes de main. Incapable de tenir tête à Kempè, Ti Manno s’enfuit vers Solino. Le bandit, qui était insaisissable à Bel-Air en mars, a quitté Solino après avoir été protégé par des policiers de ce quartier.

Selon la deuxième source de Bel-Air, Kempès Sanon, dans la cinquantaine, s’associe aux bandits de Village de Dieu, suite à son évasion de la prison de Croix-des-Bouquets, le 25 février 2021.

Accusé d’assassinats et de kidnapping, le caïd de Bel-Air fait le pont entre ces kidnappeurs et des éléments corrompus de la Police Nationale d’Haïti dans le commerce de munitions illicites, a ajouté notre source.

Une affaire de traîtrise

D’après une source contactée dans le quartier de Solino, les bandits de Bel-Air entretenaient des liens étroits avec plusieurs policiers de Solino qui les aidaient souvent à commettre des actes malhonnêtes. Un jour, ces membres de la Police Nationale d’Haïti se réunissent et décident de ne plus collaborer avec ces bandits réputés. Pour Kempès, il s’agit d’un acte de trahison. Il opte donc pour l’attaque de la zone afin de faire payer aux policiers leur trahison.

Ainsi, le 2 mars 2023, aux environs de 13 heures, des bandits armés de Bel-Air ont lancé un assaut contre le quartier de Solino. Lors de cette attaque, deux agents de la Police haïtienne sont sortis blessés et pas moins de quatre maisons ont été incendiées, selon les médias.

À notre source de souligner que lors de cette attaque, la plupart des policiers qui ne sont pas de mèche avec les gangs de Bel-Air se sont tenus à l’écart de ce qui se passait, car ils avaient des éléments d’information sur le conflit existant entre leurs frères d’armes corrompus avec le caïd de Bel-Air.

Actuellement, la majorité des policiers de Solino qui collaboraient avec les hommes de Bel-Air ont pris la fuite. Selon notre source, qui est un policier résidant dans la zone, certains ont vendu leurs armes de service (propriétés de la PNH) et leurs munitions afin de régler les frais de voyage. Beaucoup d’entre eux, ont fait le choix de partir vivre en République Dominicaine, d’autres se trouvent au Mexique et d’autres encore ont quitté le pays dans le cadre du programme Biden.

Puis vient le kidnapping

Le quartier de Solino donne accès au sud au quartier de l’Avenue Poupelard, au Nord à Delmas 24, à l’ouest à Carrefour Péan et Sans Fils et à l’est à Nazon.

Selon notre source policière, les hommes de Bel-Air veulent s’emparer de Solino, zone stratégique entre Delmas et Bel-Air, pour en faire un territoire de transit pour les kidnappings au niveau du haut Delmas.

Selon les calculs des bandits de Kempès, révèle notre source, les forces de l’ordre ne pourraient pas contrecarrer ces enlèvements qui seraient effectués par les ruelles étroites de Solino. Aujourd’hui, ces kidnappeurs sont contraints de passer par Lalue en suivant l’itinéraire actuel, qui n’est pas idéal.

À Solino, la résistance s’organise

Informés, lors de la deuxième attaque du 6 septembre dernier, que l’objectif des bandits armés de Bel-Air était de prendre le contrôle de Solino afin de poursuivre les kidnappings, ces policiers se mettent aux côtés des civils armés venus de Delmas 6, cité Soleil, entre autres, pour repousser les malfrats. Il s’agit du groupe des « avatars » comme le surnomment les habitants du quartier de Solino.

Si lors du deuxième assaut les « avatars » étaient venus à la rescousse des habitants de Solino, pour la troisième attaque du 19 novembre 2023 les riverains tentent à eux seuls de défendre leur territoire contre la violence des hommes armés du Bel-Air.

D’après Woodlionel, un résident du quartier, il s’agit d’enfants et de jeunes hommes qui ne se sont pas enfuis, mais qui se positionnent du côté de la Police pour défendre la zone. La majorité d’entre eux, sont munis de machettes et de bâtons.

Maximilien, un policier de Solino, nous confie avoir participé avec ses collègues dans l’opération du 19 novembre afin de repousser les hommes armés de Bel-Air. Pour cet agent de la PNH, il n’y a aucun souci s’il y a des individus armés de la population qui se portent volontaires pour assurer le contrôle de la zone. De manière catégorique, il conclut en disant : « Solino ne doit pas devenir Martissant ».

En Haïti, il est fréquent que des policiers et des civils, sous le regard complice des autorités étatiques, se regroupent pour atteindre un objectif commun. L’histoire de Carrefour-feuilles, où se trouve un groupe armé composé de policiers et de civils armés en est un parfait exemple.

Nous avons donné des noms d’emprunt aux personnes interviewées en vue de protéger leur identité.

Dieudonné ST CYR, journaliste enquêteur