Mais pourquoi diable, tant d'Haitiens quittent la République Dominicaine

Mais pourquoi diable, tant d’Haitiens quittent la République Dominicaine


Le droit de séjour devient un outil de violation des droits des migrants

Il était 10: 13 du matin, le jeudi 28 septembre 2023, lorsque Jacqueline se tourmentait devant sa maison à Las Americas, à Santo-Domingo, la capitale de la République Dominicaine.

Cette haïtienne qui, depuis 2 ans a été contrainte de vivre en République Dominicaine après avoir été chassé par le gang Kraze Barye, de Tabarre où elle tenait un salon de beauté sur le Boulevard du 15 Octobre, se donne tant de mal pour n’avoir pas pu être ponctuelle à son travail qu’elle devait rejoindre à 10 :00.

Pour cause, Edouine ( prénom d’emprunt), le chauffeur de taxi-moto qui devait la transporter jusqu’au bureau n’est pas au rendez-vous et elle commençait déjà à s’énerver contre son retard lorsque l’homme a finalement, appelé pour lui apprendre qu’il a été intercepté par les agents de l’immigration dominicaine qui, sans autres formes de procès, l’embarque pour le conduire en direction de la frontière.

Apres avoir appris la nouvelle, Jacqueline est rentrée chez elle, abandonnant toute idée de rejoindre son travail, puisque, quoique muni d’un visa d’un an, elle a le même problème que le chauffeur de taxi-moto, à cause de la fameuse question de droit de séjour qu’elle, comme la majorité des Haïtiens vivant en République voisine, ne parvient pas à renouveler depuis la décision du président, Luis Abinader de fermer les frontières avec Haïti.

Le droit de séjour

Le responsable de la Fondation Zile, Edwin Paraison, souligne que le droit de séjour, selon la loi sur l’immigration dominicaine, ne dure qu’un mois, contrairement aux Etats-Unis où ce droit est octroyé pour une période de 6 mois.
Selon cette loi, tout étranger séjournant en République Dominicaine doit pouvoir, à l’aide d’un sceau de l’immigration, prouver qu’il avait quitté le pays après cette période de séjour.
A cause de ce droit de séjour, les Haïtiens sont contraints de rejoindre la frontière mensuellement pour se faire enregistrer au bureau de l’immigration.

Avec la décision prise par le président dominicain, Luis Abinader, de fermer les frontières et du coup, les bureaux de l’immigration dominicaine à la frontière, les Haïtiens vivant en République voisine sont pris au piège.

Ils ne peuvent pas renouveler leur droit de séjour et deviennent des illégaux sur le sol dominicain, passibles de persécution, de rackette des agents de l’immigration et de déportation, puisque seuls 20 à 30 milles Haïtiens ont le statut de résidents en République Dominicaine, selon le responsable de la Fondation Zile.

La fermeture des frontières qui jette quotidiennement des Haïtiens dans l’illégalité en République Dominicaine, a déjà causé le départ de 61 000 Haïtiens, selon des chiffres révélés par la presse dominicaine, au cours de la dernière semaine du mois de septembre.
Selon l’organisation de défense des droits humains défenseur plus, Antonal Mortimé, depuis la décision de Luis Abinader jetant chaque jour des Haïtiens dans l’illégalité dans son pays, environ 1000 Haïtiens quittent quotidiennement, de gré ou de force, la République Dominicaine.

Le responsable de la Fondation Zile, Edwin Paraison rappelle que l’arrestation et la déportation des Haïtiens, pour cause d’expiration de leur droit de séjour, est illégale au regard de la loi sur l’immigration dominicaine qui ne prévoit qu’une pénalité de 2500 pesos pour chaque mois passé sur le territoire après l’expiration de ce droit.
Des actions illégales mais acceptés en République Dominicaine qui cherche, à tout prix, à diminuer la présence des migrants haïtiens, perçue comme une invasion pacifique du pays, regrette Edwin Paraison.

Une vie de peur au ventre et d’indignation

Malgré l’illégalité de la pratique et les contraintes rencontrées par les migrants haïtiens qui doivent renouveler leurs droits de séjour, ces histoires violant les Droits des migrants, sont quotidiennes en Républiques Dominicaines et font la hantise des citoyens haïtiens.

Jimmy (prénom d’emprunt) travaillait comme journaliste en Haïti. Apres avoir été chassé de son quartier par des bandits armés du gang Kraze Barye qui font constamment des irruptions, il s’était réfugié en République Dominicaine puisqu’il savait que le gang était à ses trousses.
Apres 2 mois à réaliser un travail qui ne lui plaisait pas, en terre dominicaine, l’homme a résolu de rejoindre sa patrie, le jeudi 28 septembre 2023.

Son témoignage est à glacer le sang: « Je me suis rendu en République Dominicaine, le 2 aout 2023. Ma première déception fut le fait que j’ai été abandonné à la station d’autobus par un ami qui me promettait de me recevoir chez lui et m’aider à trouver un travail dans ce pays étranger. Il était 10 :00 du soir lorsqu’un autre ami contacté est venu me chercher pour me conduire dans sa maison où il vit avec 7 autres personnes. Cet ami qui travaille dans le secteur de la construction m’a trouvé un « job » dans son chantier dès le lendemain, et me voici journaliste, sans permis de travail, obliger de transporter des récipients remplis de mortier ou de bétons à longueur de journée pour 600 pesos par jour, soit 1500 gourdes.
Dans ce travail, mon ami a eu la mauvaise idée de dévoiler aux autres travailleurs que je suis un journaliste de profession. Cela a poussé les Dominicains travaillant sur le chantier à faire preuve de méfiance envers ma personne puisqu’ils ne cessent de se questionner sur les vrais motifs de ma présence dans le chantier. Cette vérité sur ma profession m’a mis en face d’un autre danger puisque, bon nombre d’Haïtiens qui y travaillent, proviennent de Savien dans l’Artibonite où règne le gang Gran Grif de Luckson Elan.
Ils ont tenté de me rassurer qu’ils n’ont rien à voir avec le gang mais n’ont pas su ôter ma méfiance, sachant combien mes analyses à la radio en Haïti étaient en défaveur des gangs armés.
Apres deux mois passée à dormir sur des tas de briques dans le chantier puisque je n’avais pas d’ami pour me loger chez lui, j’ai résolu de revenir en Haïti pour continuer à vivre encore dans le manquement puisque, ne parvenant toujours pas à rejoindre ma maison, je me trouve chez un ami sans aucun travail ».

La situation est bien différente pour la femme de Joe (prénom d’emprunt) qui élève seule ses deux enfants en République Dominicaine. Joe qui travaillait en Haïti a dû quitter le pays à destination des Etats-Unis d’Amérique, au mois de janvier 2022, pour se mettre à l’abri de la violence des gangs armés.

En dépit du fait qu’il vit loin de sa famille restée en République Dominicaine, cet ancien professionnel de la presse dit vivre avec une certaine quiétude d’esprit, vue la couleur de la peau de sa femme et de ses deux enfants : « Ma femme a toujours passée dans les filets des agents de l’immigration, vue la couleur de la peau de la famille puisque ces gens-là ne choisissent les personnes à contrôler que sur la couleur de la peau. Ma femme m’explique combien il est révoltant de voir des agents de l’immigration intimider des Dominicains ayant la peau noire dans la rue alors qu’ils s’amusent seulement à harceler ma femme qu’ils prennent pour une Dominicaine, juste en regardant sa peau ».

Edouine, le chauffeur de taxi-moto cité plus haut, a été conduit à la frontière et déporté en Haïti parce qu’il était noir et qu’en République Dominicaine, avoir la peau brune, c’est être Haïtien, mais surtout parce qu’il n’avait que 4 000 pesos dans sa poche pour verser aux agents de l’immigration dominicaine qui lui réclamaient la somme de 5 000 pesos, l’équivalent de 100 dollars américains, en échange de sa libération, selon ce qu’il a expliqué à sa cliente Jacqueline, depuis le camion de l’immigration qui le transportait vers la frontière.

Samuel Celiné